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11.12.2008

L'art en général et les Arts du chemin en particulier ont-ils un rôle à jouer dans la sensibilisation à l'environnement et au paysage ?

Voici le texte de l'intervention de Claude Gudin, lors des Rencontres-cénacle-laboratoire des 4 et 5 septembre 2007 au Nombril du monde, à Pougne-Hérisson. Claude Gudin est ancien jardinier diplômé de la ville de Paris, ingénieur-docteur en physiologie végétale, poète et pataphysicien à ses heures.

L'art en général et les Arts du chemin en particulier ont-ils un rôle à jouer dans la sensibilisation à l'environnement et au paysage ? Quelles sont les limites de cette approche ?

J’ai eu quelques expériences personnelles sur ce qu’on peut appeler les Arts du chemin. Je ne sais pas trop quelles leçons en tirer, mais ce qui m’intéresse dans les arts du chemin en général et le paysage, c’est, en quelque sorte, de se « payser » là-dedans et je dis bien se « payser » à l’inverse de se dépayser. Parce que se dépayser c’est souvent s’échapper, aller ailleurs alors que se « payser » c’est, au contraire, essayer de pénétrer le paysage dans lequel on est, et d’essayer, en quelque sorte, de lui trouver un sens, de lui donner un sens et de voir quelle relation on va établir avec cet environnement dit naturel, qui n’est pas du tout naturel, puisqu’il a été planté, complètement pensé. Une forêt sent autant la sueur qu’une cathédrale. Ce qui m’intéresse c’est d’essayer de voir, en quelque sorte, quelles vont être nos racines à l’intérieur de ce paysage. Alors, il y a plusieurs façons de prendre le problème : il y a la façon artistique, c'est-à-dire par la sensibilité, par l’émotion, mais cette émotion, il faut qu’elle porte sur quelque chose, sur un lien entre ce qui est sous nos yeux et nous, ce qu’on ressent. Et ce lien c’est bien sûr, en général, la végétation, le monde minéral, enfin tout ce qui structure cet environnement. Alors là, intervient un élément qui est complètement absent de tous les textes. On parle d’art partout, on parle de végétaux, on parle de paysage partout, mais on ne parle pas de la dimension scientifique. Et la dimension scientifique, dans un paysage, elle existe. C’est précisément la dimension qui va donner un sens à tout ça. Alors qu’est-ce que j’entends par dimension scientifique dans un paysage ? C’est précisément tout cet ensemble de sons, de couleurs, de parfums qui nous environnent et qui nous arrivent par l’intermédiaire de nos sens. Et, en particulier, tout ce qu’on a sous les yeux. Et qu’est-ce qu’on a sous les yeux ? On a finalement un ensemble assez impressionnant de ce qu’on apprend à l’école sous les vocables des mathématiques et de la physique. Quand on se promène dans un paysage, on se promène dans la théorie du chaos. […] On a fait allusion à Mandelbrot, qui en est l’un des éléments puisque c’est le père des fractals. On aurait pu évoquer aussi la théorie de la catastrophe. Quand on se promène dans la nature, on se promène dans le chaos, dans les fractals, dans la catastrophe ; on se promène dans la dynamique des fluides avec la turbulence, les flux laminaires …tous ces noms scientifiques qui ne veulent peut-être pas dire grand chose et qui prennent justement un sens quand on est dans le paysage. […]

Quand on se promène dans la nature, on le voit parce que la nature prend son temps. Ce n’est pas de l’eau qui n’a pas de viscosité, c’est un fluide biologique, un fluide visqueux, qui a une grosse viscosité et qui va s’écouler beaucoup plus lentement. Et si vous regardez un fruit, si vous regardez une gourde par exemple – vous en avez là dans le jardin des contes où j’avais d’ailleurs recommandé qu’on plante beaucoup de plantes volubiles parce qu’un jour, il y aurait tellement de conteurs, ça coûterait tellement cher, qu’il faudrait arriver à s’en débarrasser et les plantes volubiles coûtent beaucoup moins cher. C’était la raison de la plantation. Si vous regardez ces plantes volubiles, qui font justement des fruits particuliers - ce sont les cucurbitacées qui font ça. Là, moi, quand la cucurbite m’habite, il faut me retenir ! Donc, du haut des ces cucurbitacées s’écoulent ces gouttes de matière qui deviennent les gourdes qui servent ensuite – j’ai entendu parler tout à l’heure d’un pèlerinage, de Saint Jacques de Compostelle, bah voilà ce qu’il faut emporter, c’est la gourde. Et on a aussi des formes plus allongées : le tube. C’est ce qu’on retrouve dans la courgette en quelque sorte. Et puis on a ces sphères. Quand on se promène dans la nature, on a tout ça sous les yeux. C’est vraiment ce qu’on appelait avant une leçon de choses. Mais, en plus, ces objets sont colorés, parce que depuis la nuit des temps, les êtres vivants, les premières cellules on fabriqué du pigment pour ce protéger d’ailleurs de l’excès du soleil. Et on retrouve dans la nature cette immense gamme de couleurs liées à des odeurs qui sont en général les mêmes molécules, mais beaucoup plus petites et qu’on perçoit par l’odeur. On a tout ça. Et tout ça c’est une véritable histoire naturelle. Se rajoute à cette dimension - qu’on peut bien sûr mettre en valeur en choisissant les différentes espèces et en les organisant dans un art du paysage - et c’est à mon avis le plus important, la dimension mythique et mythologique du végétal. J’ai glané comme ça en partant juste quelques petits trucs : vous avez cette petite fleur rouge là, qui s’appelle en latin, l’Adonis goutte de sang. Toutes les plantes en botanique sont classées par l’INNEE selon une terminologie gréco-latine, ce qui fait que tous ces noms latins véhiculent toute une mythologie héritée des Grecs et des Latins. Se balader dans la nature, c’est se balader dans la mythologie grecque. […] Toutes les plantes, tout ce qui nous entoure, nous renvoie sans arrêt à cette mythologie gréco-latine, plus toutes ces histoires de science. Donc la nature ne manque pas d’humour. […]

L’art du chemin peut devenir un moyen de donner un sens au paysage et aux gens qui l’habitent, d’étudier en profondeur et de s’amuser en profondeur des relations qui se tissent entre celui qui regarde et l’objet regardé, qui n’est jamais qu’un de nos cousins biologiques, puisque plantes ou animaux, on dérive tous de la même cellule. La grosse différence c’est que nous on a perdu nos chloroplastes, on n’est plus capable de faire la photosynthèse, et qu’il faut retourner auprès du végétal pour pouvoir respirer l’oxygène qu’il nous fabrique grâce au gaz carbonique qu'il fixe et à l’énergie solaire qu'il fixe.
Le dernier message c’est ça : je crois que dans l’art du chemin, l’élément dominant, et il n’y en n’a pas d’autre, c’est la photosynthèse, c'est-à-dire ce mécanisme par lequel l’air est purifié constamment par les plantes. Je sais, vous riez. C’est plutôt rigolo d’avoir perdu ses chloroplastes, mais on est vraiment des pauvres bêtes sans les plantes. On a besoin d’elles pour nous nourrir. On a aussi besoin d’elles pour nous cultiver. C’est l’environnement qui nous cultive et nous on peut le cultiver aussi.

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