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11.12.2008

Intervention d'Isabelle Auricoste

Voici le texte de l'intervention d'Isabelle Auricoste, lors des Rencontres-cénacle-laboratoire des 4 et 5 septembre 2007 au Nombril du monde, à Pougne-Hérisson. Isabelle Auricoste est architecte-paysagiste, écrivain, enseignante. Elle a reçu le Grand Prix du paysage 2000.


CHEMIN ET NATURE
J’aimerais partir de l’idée du chemin qui me paraît offrir une éclairante métaphore pour introduire les réflexions de ces deux journées, ancrage dans l’épaisseur du terrain et vecteur de traversées, de croisements, d’idées neuves :
« Le chemin en appelle à une certaine manière d’user de la terre et de notre existence. » Pierre Sansot » colloque Patrimoine et paysages culturels Juin 2001
Le chemin n’est pas seulement un fil tendu d’un point à un autre, il est gravé dans les accidents d’un sol par les itinéraires qui l’on tracé, il franchit montagnes, rivières et déserts, il croise des villes, il rencontre des embranchements, il rassemble des voyageurs venus de directions opposées , il résume et exprime à lui seul tout ce que peut renfermer un paysage c’est à dire la diversité mais aussi l’universalité des formes que les hommes ont données à leur installation sur la terre, formes toujours négociée avec les puissants éléments naturels.
On peut survoler tout cela sans le voir, aveuglé par le désir d’atteindre vite quelque destination lointaine ou bien profiter des aspérités sous les pieds qui vous retiennent en chemin pour ressentir le monde autour de soi; le regarder, imaginer ses multiples et merveilleuses facettes, y trouver sa place.
J’aimerai suivre lentement les détours de ce chemin-la pour explorer le rôle du paysage dans notre imaginaire contemporain.
La façon dont nous regardons et construisons les paysages dans lesquels nous vivons traduit exactement l’idée que nous nous faisons, à un moment donné, de nos relations avec la nature. La nature c’est cette dimension fondamentalement étrange de l’univers qui peut se révéler simultanément source de malheurs et de fécondité. Aimable et redoutable, échappant à toute mesure, elle est l’inspiratrice de tous les mythes par lesquels l’humanité a cherché à composer son destin avec elle.
Et chaque fois dans l’histoire que de fortes mutations sont à l’œuvre, ébranlant un ordre affaibli, la question des relations de l’homme avec la nature s’est reposée et a dû être repensée entièrement. Les formes matérielles et sociales qui ont incarné ces conceptions ont suivi le même chemin, Le paysage qui représente l’idée d’une relation harmonieuse entre les hommes et la nature, dans notre société contemporaine a pris la dimension d’un récit mythique fondateur, c’est à dire d’une création imaginaire collective capable de mobiliser et de ré-orienter les actions humaines vers une civilisation différente, plus attentive que celle que nous quittons aux exigences de la planète et de la communauté des hommes. Moins consommatrice et plus créatrice.

PAYSAGE NOUVEL ESPACE POUR L’ACTION PUBLIQUE
Le paysage matériel a toujours existé, le paysage comme agent de médiation entre les éléments naturels et les civilisations est une constante anthropologique dont le jardin sous toutes ses formes nous montre les multiples déclinaisons. La participation de l’art à cette entreprise, ancienne et éprouvée actualise cette dimension symbolique la fait entrer dans l’imaginaire collectif ; que ce soit par le jeu des proportions et de la géométrie (tracés, composition), dans des programmes iconographiques (décors de sculptures, palette végétales) ou dans la sollicitation immédiate des sens,.
Au fond, chaque époque, à sa façon, à voulu dans le jardin comme le disait le roi de Pologne Stanislas Leckzinski « rendre la vérité fabuleuse comme on se sert de la fable pour exprimer la vérité » cette formule exprimant assez bien la tension entre la nécessité de la vérité et la nécessité de la fable qui sous tend toute entreprise de culture. Mais à chacun sa vérité
Fêtes et spectacles, musique, sculpture, architecture, c’est lorsqu’il s’exprime dans l’espace public que les pouvoirs d’enchantement de l’art rendent visible compréhensible la vérité momentanée d’une société. Simultanément et dans un mouvement complémentaire, spectacles médiévaux sur le parvis des églises, splendides fêtes royales dans les parcs des châteaux, fêtes révolutionnaires au Champ de Mars au delà de leur influence didactique contribuent fortement à la création de nouveaux lieux (re)visités par l’imaginaire collectif, donne une valeur et une existence concrète à de nouveaux espaces devenus publics.
Si depuis le jardin d’Eden en passant par Socrate enseignant sous les platanes d’Athènes et J.-J.Rousseau immergé dans la contemplation de la nature, les jardins sont par leur statut même des lieux de passage et d’échange entre nature et culture, des espaces privilégiés, emblématiques qui ont pu accéder au statut d’espaces publics dans les villes (et plus tard à la campagne aussi avec le statut récemment créée de jardin historique ou jardin remarquable), jamais encore on n’avait vu des pans entiers de territoire et même le territoire tout entier, le territoire banal de la vie ordinaire, devenir, par le truchement d’un intérêt général pour le paysage, un espace symboliquement public. Il s’agit d’une extension qui se déploie dans le registre de l’imaginaire car pour l’essentiel, le paysage est constitué de propriétés privées que l’on ne peut s’approprier que par le regard (loi sur le paysage 1993, « le paysage appartient à celui qui le regarde ») mais dont la collectivité peut prendre soin à partir d’une conception d’ensemble qui les intègre dans la solidarité d’un système, un tout lié, une nouvelle représentation des relations de la nature et de la société. Cette nature qui perçue maintenant comme une dimension fragile et menacée du monde dont participent tous les lieux et tous les gestes de la vie. Fragilité que les évolutions fréquentes et souvent rapides des paysages autour de nous rend spectaculairement visible.

UNE NOUVELLE UTOPIE
En ce sens, le paysage est porteur d’une capacité d’utopie, d’une mise en perspective cosmique, d’une appropriation sociale. Il offre une nouvelle scène publique, hors la ville épuisée par son stade avancé de désorganisation, pour imaginer les couleurs d’un monde différent. Il récupère un autre héritage un peu oublié.
Les artistes qui s’emparent de cette scène, sont confrontés à une situation paradoxale. Le paysage se confond souvent dans l’imaginaire collectif avec des images archaïques et des souvenirs idéalisées ; on les voit loin des mouvements du monde, comme figés dans une éternité séduisante bien loin de la modernité. Et simultanément, le souci du paysage devient un enjeu citoyen, la société s’en empare par le regard et la pratique, cherchant confusément de nouveaux modèles pour le futur dans l’épaisseur des lieux, dans une relation à inventer au temps, à l’espace, au non quantifiable. Les deux faces de ce même objet, il ne faut pas les jouer à pile ou face, les tensions, les contradictions qui se tissent entre elles sont nécessaires et fécondes. Le paysage apporte à ces nouveaux lieux de l’art les ressources infinies d’expression qu’offre une langue aux poètes; pour composer avec elle, il faut en maîtriser la grammaire, la travailler de l’intérieur. De même, le paysage n’est pas un décor, ni même un lieu ; on est dedans et on agit avec lui, on change de registre.

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