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8.02.2008

Marches et démarches des Arts du Chemins

Voici le texte de l'intervention de Denis Lecat lors des rencontres nationales des arts du chemin à Brétigny sur Orge, le 20 mai 2008 :

"Dans Malaise dans la civilisation, traduit aussi par Malaise dans la culture, Tonton Freud, parle des problèmes posés à l'être humain :
- d'abord la maladie. Bon on arrive à plus ou moins se protéger, se soigner, temporiser, voire guérir, mais on réussit très bien aussi à en mourir. Comme on n'est pas dans un congrès de toubibs, ça se verrait, y aurait des palmiers dehors, juste à côtés de calicots publicitaires pour une marque de suppo de Satan, comme on n'est pas dans un congrès de toubibs, on va laisser ça de par devers nous, si vous le voulez bien.
- Bon, ensuite la mort. Là on a pour l'instant réussi à retarder un peu l'échéance mais c'est pas génial, même si ça laisse suffisamment de recul pour se dire que finalement on n'est pas sûr de vouloir rester, tu sais comme quand t'arrives dans un boum et c'est sympa y'a des gonzesses, mais qu'en fin de soirée t'es tout seul et que c'est pas toi qu'on r'garde de toute façon parce que t'as trop dansé, trop transpiré, bref, que t'es pas en odeur de sainteté (ouais, bon, c'est une image bancale sur la vertu d'être vieux, c'est pas de Tonton Freud, hein, rassurez-vous, je sais c'est un peu nul mais j'en prends la responsabilité !).
- Quoi d'autre encore dans l'inventaire des réjouissances ? Les catastrophes naturelles. Ben là on peut toujours tenter de s'en protéger comme on peut, enfin en ce moment on est plutôt en perte de vitesse sur la côte birmane, surtout quand le manque de solidarité s'en mêle. Ce qui m'amène au dernier fléau de l'humanité :
- Les politiciens. (Non je plaisante) :
- un autre type de catastrophe naturelle : les relations humaines. Par exemple, juste un exemple parce que ça fait du bien : imaginez un léger quiproquo et une suite d'oublis qui font que les murs de mon hôtel ont été tapissés avant qu'on y mette des briques, et aussi que mon voisin de chambre malentendant est parti hier soir en boîte en laissant sa télé allumée avec le son à fond… hum, imaginez qu'à 1h20 j'appelle le gardien de nuit qui me dit qu'il n'est pas le gardien de nuit et que je lui demande ce qu'ils font d'habitude et qu'il me dise que d'habitude les gens dorment (ils ont de la chance les gens lui dis-je, du coup)… hum… enfin c'est juste un exemple, parce qu'il y a bien d'autres moments où la complexité des rapports humains se révèle inexorablement, comme un léger parfum qui flotte au dessus d'un lit d'algues échouées dans la vase lors d'une marée basse en plein soleil. Bref, ça fouette ! comme dirait Indiana.

Evidemment, c'est là où je voulais en venir. Pas à Indiana Jones, aux relations humaines. L'art à mon sens, injecte du langage et du sens (du sens quel qu'il soit, non-sens inclus), dans la vie. Tout ça pour ça. Pour vivre avec ceux qu'on pourrait appeler "les autres". Pour appréhender la distance et la différence entre ce qui fait "nous", et ce qui fait "les autres". D'où l'intérêt de travailler le rapport aux frontières.

Les artistes du chemin (entendez par là ceux qui pratiquent ou s'essayent à pratiquer les arts du chemin, c'est-à-dire à lézarder sur les chemins buissonniers de l'art, rien à voir avec le sentier lumineux), - les artistes du chemin, donc, explorent les frontières. Frontières entre art et culture, entre culture et science, frontière entre art de la scène et art contemporain, art en plastique et art en béton, dit art "chitecture", etc., etc.

Une petit parabole : Babar l'éléphant se fit une idée de la glace comme étant liée à 2 éléments : vanille et chocolat. Il goûta, et vit que cela était bon. Bon, mais pas constitutif de notre monde. Il avait oublié la fraise. C'est pour cela que Babar n'est pas Dieu.

L'opposition des contraires ne se résout que dans une forme de trinité qui sépare le bien du mal, le dessus du dessous, … Entre la peau et le noyau, il y a la chair du fruit. C'est ce que j'appelle le corps social, synthétique formulation pour dire qu'on est tous dans la même galère, entre deux cyclones, un tremblement de terre, l'arrivée de l'hiver et du Tour de France, et… les relations humaines.

Je nous souhaite de ne rien créer, car Dieu a fait assez de conneries comme ça. Mais je nous souhaite de laisser émerger de nouvelles évidences. Nous sommes ici pour les faciliter.

Autre chose : la catégorisation on s'en fout, je veux dire ça a peu d'importance face à l'essentiel, c'est-à-dire tout ce qui n'est pas la glose. Les théories, par exemple on s'en bat l'œil, ou on s'en balance, disait la tasse. Sauf que tout ça c'est du chewing-gum pour l'esprit, un banc de musculation pour le cerveau, ça muscle pendant l'entraînement, et puis, pendant la course, on oublie ça.

Arts du chemin, arts en marche, loin des lieux où monter les marches finirait par devenir une fin en soi. Les arts du chemin, c'est peut-être au contraire un début de soi. Début du corps, don de soi, à soi-même. Tisser des liens. Se trouver, se retrouver, se trouver là, hors démarchages, hors des charges municipales, dans la démarche. Le processus contre la procédure, en quelque sorte. Echange de bon processus.

N'oublions pas que l'objectif, c'est le chemin. Les arts du chemin n'ont pas d'autre projet que de vivre de leur propre processus de découverte, très verte, du coup, et de leur propre processus de développement. Et peut-être aussi une OPA sur Total, pour transformer définitivement les pompes à gasoil en stations de friandises éco-durable, éthiques, biologiques, équitables … Pour ça va falloir faire et vendre des t-shirts et des mugs à l'effigie de notre mascotte, peut-être un lézard qui s'appellerait Duchemin, ou des Gabriel Lucas en peluche, on verra ça avec le service développement marketing du réseau.

"Nous sommes des êtres de langage" disait l'autre. Nous construisons nos identités par le langage. Notre identité est inséparable de là où nous sommes, de là où nous vivons, des espaces que nous traversons. D'où l'intérêt de prendre en compte les environnements patrimoniaux, naturels, imaginaires, humains, qu'ils soient visuels, sonores, olfactifs ou kinesthésiques et gastronomiques.

C'est un besoin de se réapproprier l'environnement naturel, le "vivant" en dehors de l'humain, ce que j'appelle le vivant non-humain, qu'il soit végétal, animal, minéral, ou de ce nouveau règne étrange de la chronophagie télévorace.

Nous sommes des êtres de mots, pas de mots d'ordre. Nous sommes des êtres de syntaxe (priez pour nous), de syntaxe sur la valeur ajoutée. Nous sommes aussi des êtres de grammaire indigne. Composons donc les mots de demain : les mots doux, les mots durs, les mots d'oiseaux des drôles d'oiseaux que nous sommes, qui ont conscience de leur finitude, et qui sont animés de désir.

Pour aujourd'hui : Eviter l'autocongratulation, et se réjouir de la rencontre, et penser en marche, passer des marchés, faire son marché de pensées dans les jardins, et faire marcher les spectateurs, avec leur consentement, et faire marcher la pensée et l'idée en marche du "faire et vivre ensemble".

Encore un truc : les valeurs associées aux arts du chemin :
- La valeur temps (le temps de rencontrer, d'échanger, de construire et d'improviser),
- La valeur développement du râble : celle du lapin évidemment.
- L'esprit du travail collaboratif, et l'idée de passer au travail réflexif et de laisser tomber l'animatoire stérile. Faire du "populaire", de l'"élitaire pour tous", comme disait Vitez. "Plaire et instruire", comme disait La Fontaine.

Moi je dis, transpirer la créativité pour inventer la vie à venir, sans laisser la vie advenir les bras ballants. "Baise la vie à mort" disait Higelin.

Il est temps à nouveau de déboiser la langue, et de reboiser l'imaginaire et de réconcilier l'homme et la nature, l'homme et sa propre nature, tout naturellement."

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