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8.20.2006

Le sens des lieux, par Anne Romé


Le sens des lieux, par Anne Romé
Contribution d'Anne Romé, consultante, "La clef des champs" (Conseil et formation tourisme vert, culture et développement local).


Depuis longtemps, le tourisme et la culture en campagne occupent des places très distinctes, chacun de ces secteurs avançant en ordre dispersé vers un développement de plus en plus difficile.

Mais le plus beau jardin, le meilleur spectacle, le magnifique château, la chapelle merveilleuse, le plus beau gîte, la plus belle exposition et tout ce que l’offre en milieu rural peut proposer de plus divers, ne peuvent être que coquilles vides et pantins désarticulés si on a perdu le sens des lieux.
Car malgré tous les cloisonnements qu’on a pu faire depuis de nombreuses années, le tourisme et la culture sont intimement liés :
La culture comme un moyen d’aller chercher le fond, le fondamental, le sens d’un lieu, pour le faire remonter à la surface et lui donner des formes et des passerelles avec le reste du monde, l’altérité, la différence.
Le tourisme comme un outil qui permet de relier les mondes entre eux en ne créant plus une standardisation de l’offre, un copié-collé de modèles redondants où la différence tarifaire deviendrait le critère de choix privilégié mais plutôt une destination originale, un exotisme de la différence, un assemblage de petits riens qui font tout, ce que l’on ne trouve nul part ailleurs.
Où, comme les premiers « tours » du 19ème Siècle, les visiteurs auront l’unique sentiment d’explorer, d’être les élus privilégiés de rencontres improbables.

Tous les deux, le tourisme et la culture, ont pour idée d’offrir de nouveaux voyages.
Mais où est donc parti et comment retrouver ce sens qui nous manque pour ces lieux en campagne trop, mal ou pas assez visités ?
Et, surtout, qu’est ce qui donne du sens à un lieu ?
Il faudrait procéder en trois étapes :

D’abord chercher l’esprit du lieu, ce qu’il nous raconte:
- Ce qui le rend unique, ses ressources propres
- L’histoire des humains qui y ont vécu, y vivent et y vivront

Pour créer une trame:
- A partir de cet esprit, de ce que nous raconte le lieu, nous allons alors pouvoir travailler à la création d’un nouvel univers dans l’invention d’une histoire contemporaine, départ de toute action de territoire; ici la présence des artistes en lien avec les acteurs locaux est primordiale.

Et tisser un fil d’Ariane qui permette de fédérer et de pérenniser l’action :
- Elle doit être portée par un maximum d’habitants aux compétences diverses pour qu’ils soient véritablement acteurs du projet. La plupart du temps, on ne veille pas assez à l’importance de l’action collective et participative comme ingrédient nécessaire à la mise en œuvre d’un véritable sens durable des lieux. Parce que c’est souvent la partie la plus difficile à réaliser : accepter la différence de points de vue, la remise en question prend du temps et n’est jamais acquise une fois pour toute.

Esprit es-tu là ?
Pour chacune de ces étapes, il est nécessaire de ne pas aller trop vite pour éviter de passer à côté de l’essentiel.

Qu’est-ce que l’esprit du lieu ? Comment le définit-on ?
Le genius loci des latins, qui hantait les bois, les cours d’eau, a existé dans pratiquement toutes les civilisations, et se retrouve notamment chez tous les peuples européens. En ce siècle où le besoin d’identité est profondément ancré, il n’est pas déplaisant de constater que ce terme retrouve un second souffle…
S’il faut le définir, ce qui n’est pas facile, on peut le présenter comme la synthèse des différents éléments, matériels et immatériels, qui contribuent à l’identité d’un site… En ce sens, il est unique.

La matérialité d’un site est liée à sa structure géologique, au climat, à la présence éventuelle de l’eau, à sa végétation, mais aussi à l’action de l’homme : méthodes culturales, occupation de l’espace, architecture… Cette matérialité s’inscrit dans le temps, dont les strates se superposent ou s’occultent, à l’échelle géologique, comme à l’échelle historique, façonnant ou refaçonnant le paysage. On peut dire que cette “matérialité”, tout en évoluant dans le temps, est inhérente au site.

Le caractère immatériel du site est, quant à lui, beaucoup plus conjoncturel, et dépendant de la conscience que l’on en a.
On peut néanmoins objectiver les composantes de ce caractère immatériel :
• L’histoire, proche ou lointaine, le mythe, la légende, et la perception de ces éléments – qui évoluent avec le temps, en fonction des modes, de “l’air du temps”, mais aussi de l’âge du visiteur,
• La perception du lieu, l’ atmosphère… Elle est liée au paysage, à la qualité de la lumière, aux couleurs, aux bruits ou au silence, aux odeurs, à la répartition des masses, des plans, des contrastes, à l’organisation de l’espace… Elle émeut les sens ;
Les sens et le lien avec l’affect personnel : c’est une expérience individuelle, mais qui peut aussi être partagée
•L’usage, ou les différents usages, et leur évolution à travers les âges (agriculture, viticulture, élevage, sanctuaire, habitat, caractère naturel ou urbain, intérêt architectural ou scientifique…). Cela se traduit également par le caractère festif, les manifestations culturelles, la vitalité du commerce et de l’artisanat, le cadre de vie, les espaces publics, la qualité de l’accueil, les produits du terroir, la gastronomie.
•L’image, voulue ou ressentie : elle peut être spontanée, symbolique, élaborée, commerciale, ciblée… En tout état de cause, si elle s’éloigne de la réalité, elle a toute chance de décevoir.

Cette première étape, l’identification de l’esprit des lieux, nous permet de commencer à prendre conscience des univers particuliers qui peuvent se dégager pour mettre en résonance le lieu:
Mise en place d’une histoire, d’un thème, d’un circuit de découverte, d’une déambulation, d’un cycle d’animations et toutes formes permettant de sentir, d’entendre, de voir, de goûter un lieu qui devient alors un nouveau voyage dans une autre dimension.
Cette dimension que le travail entre artistes et acteurs locaux va permettre de révéler.

Nous allons pouvoir commencer à construire notre trame qui donnera naissance à un fil d’Ariane permettant à chaque acteur de se relier au projet.

Cette méthode se démarque d'autres outils par le fait qu'elle s'adresse au "grand public", c'est-à-dire à des groupes de visiteurs hétérogènes, qui se trouvent dans un temps de loisir et ne sont pas spécialement dans une démarche d'apprentissage : il doit par conséquent s'agir avant tout d'une découverte attrayante, procurant du plaisir et de l'émotion.
Mais elle se distingue également d'un produit purement touristique par le fait qu'elle possède une finalité de sensibilisation: le but reste malgré tout de transmettre un message lié aux enjeux de ce patrimoine sous forme souvent d'une véritable prise de conscience. Le visiteur n'est alors pas simplement consommateur d'un produit, mais devient un acteur de la gestion du lieu.

La réussite de l'interprétation réside dans ce mélange subtil et complexe entre découverte, approche sensible et information.

L'objectif est atteint si l'on a su révéler un sens et une spécificité du site concerné, stimuler la curiosité du visiteur, le faire réfléchir et peut-être modifier son regard, sa perception.

Cela permet de :
- Mettre en place une offre originale partant des ressources d’un lieu, de sa mythologie propre pour développer un imaginaire et une histoire présente et future.
- Trouver des méthodes sous un regard sensible pour « ré-enchanter » le territoire
- Créer un univers décalé, particulier.
- Proposer des approches d’observation, de la poésie des lieux, de l’imaginaire sous-jacent.
- A partir de cette matière, faire émerger une identité contemporaine qui relie
- Donner à la population locale les moyens de s’approprier et de se réapproprier le projet.
- Relier deux tendances (passéiste ou élitiste de la culture)
- Utiliser la culture de territoire comme levier de développement local et de lien social
- Donner envie de se déplacer sur le territoire
- Permettre la ré-habitation, à partir d’une observation pour construire un imaginaire, se réapproprier une connaissance.

Ce regard nouveau des visiteurs et des habitants, sources multiples qui convergent vers leur attachement commun au site, permettent, par leur synthèse toujours recommencée, une approche de plus de l’esprit des lieux, que l’on pourrait ici définir comme le point focal des émerveillements. Point où se croisent les regards et carrefour thématique, l’esprit du lieu, c’est l’âme du site, c’est sa raison d’être et la condition de sa survie.

Tout le contraire, donc, de la standardisation et du prêt à porter.

Travailler sur l’esprit du lieu, c’est forcément faire du sur mesure, de l’artisanat, quelque chose comme un chef d’œuvre de compagnon !

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